Derniers jours

Charles Vieux

Extrait de « Charles Boyer, profession : Acteur.         (Segnat Éditions).

Confidences de Charles Boyer - Cliquer ici.

Février 1978 - Les Boyer célébrèrent leur quarante-quatrième anniversaire de mariage ; avec un petit groupe d’amis, lui aussi mis dans la confidence. Ainsi personne ne s’étonna ouvertement des modifications physiques intervenues chez Pat – atteinte, sans le savoir, d'un cancer. Au mois de mai, Char­les Boyer et son épouse allèrent passer quelques semaines à Genève. Où, pour satisfaire à la curiosité de celle-ci, il lui fallut obtenir d’un médecin compréhensif un faux certificat médical. Non, Pat n’avait pas de cancer, seulement une hépatite, guérissable à terme !

De retour à Scottsdale, les Boyer ne regagnèrent pas leur résidence, mais s’installèrent dans la spa­cieuse villa d’une amie, la richissime Mme Marjorie Everett. Charles et son épouse purent y passer des journées calmes ponctuées de lectures, de parties de gin-rummy et de quelques rares visites. Il arriva ainsi au mari de lire à son épouse quelques pièces de théâtre dont il interprétait, lui-même, avec l’accent et les intonations, les différents personnages.

Au mois d’août, Charles Boyer entreprit de faire à Pat la lecture d’un épais roman de Charles Dickens, Martin Chuzzlewit. Il ne la termina jamais. Le 23 du mois, Pat affirma qu’elle se sentait mieux. Restant au lit, elle passa une journée sereine avec Charles. Ensemble, ils jouèrent encore au gin-rummy. La nuit venue, la malade s’endormit paisiblement, veillée comme à l’habitude par son mari.

A trois heures du matin, Pat Boyer cessa de respirer. Charles fut éveillé par la froideur de la main qu’il tenait encore dans la sienne. Sa femme reposait calmement, les yeux clos. Le jour venu, notre acteur annonça à son entourage qu’il n’assisterait pas aux obsèques de son épouse, ceci en raison de ses propres problèmes de santé.

Tandis que la dépouille mortelle de Pat Paterson était conduite au cimetière catholique de Holy Cross, à Culver City, Charles Boyer demeura dans la villa de Phoenix à classer des papiers. On l’y retrouva inanimé, le lendemain matin, ayant avalé une dose fatale de barbituriques. Sans laisser le moindre message explicatif. Le décès du malheureux acteur survint peu après son transport à l’hôpital. Pat Paterson, devenue par le mariage Pat Boyer était morte le 24 août 1978. Son mari, Charles Boyer, la rejoignit ainsi dans son amour le 26 ; et dans la tombe quel­ques jours plus tard. 

Sur la pierre tombale que l’on plaça sur le gazon du cimetière, au-dessus de leurs corps réunis, figure toujours l’inscription lapidaire :

PATRICIA E. BOYER

Épouse aimée et mère dévouée

1910 — 1978


CHARLES BOYER

Mari aimé et père dévoué

1899 — 1978

---------- Lu dans LE FIGARO

Le Figaro Décès

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La nouvelle de la mort de Charles Boyer fut rapidement diffusée par la presse américaine et mondiale. De Los Angeles à Paris, elle fit sensation, bien que le grand événement du jour fût l’élection, à Rome, de Jean-Paul Ier au trône de saint Pierre.

« La fin du roman d’amour de Charles Boyer », titra France-Soir en manchette de première page, consacrant sa deuxième page à « celui que l’Amérique avait adopté et surnommé le French Lover ». « Avec la mort de Charles Boyer, écrivait Robert Chazal, c’est une des plus belles destinées de cinéma qui s’achève. Un de ces contes de fées comme il n’y en a plus guère aujourd’hui dans le cinéma et ailleurs. Et la fin de celui qui fut l’un des plus grands séducteurs des années 30 et 40 est d’autant plus émouvante que c’est la fin d’un merveilleux roman d’amour. »

Le Figaro rendit hommage sur cinq colonnes au « dernier monstre sacré » et évoqua, sous la plume de Louis Chauvet le Charme français : « C’était un séducteur-né. Son charme, typiquement français, fascinait les femmes et prenait une forme si délicate que ses rivaux n’osaient pas s’en montrer jaloux. On le vit souvent à Paris dans les années 60. 

« Il descendait toujours dans un grand hôtel de la place de la Concorde et venait souvent dîner à l’Élysée-Club, où la cordialité de notre accueil ne lui faisait jamais défaut. Bien que natif du Lot, il était aussi peu méridional que possible. Mais l’Amérique ne l’avait nullement américanisé non plus. 

« Fidèle à sa nature profonde, il avait l’amitié discrète, pudique, volontiers enjouée. Sa douceur courtoise n’avait d’autre limite que ses devoirs professionnels ou sa vie privée qu’il défendait jalousement, encore qu’elle ne fût ombrée d’aucun mystère… »

Sud-Ouest annonça la disparition d’un « Don Juan français made in Hollywood ». La Dépêche du Midi affirma que l’« on peut encore mourir d’amour ». Quant à la presse hebdomadaire, de France-Dimanche à Ici Paris, en passant par Paris-Match, elle consacra des dossiers entiers à Charles Boyer et à Pat Paterson. Les photos reproduites furent nombreuses ; nombreux, également, furent les témoignages d’amis acteurs ou de comédiennes connues. Chacun se plut à souligner les mérites du disparu, son charme, sa fidélité en amour et en amitié.

A Figeac, toutefois, on s’intéressa plus, en cette fin du mois d’août 1978, aux agissements d’un contribuable local venu à l’Hô­tel des impôts afin d’en briser, en signe de révolte fiscale, toutes les vitres à jets de pierres, qu’à la mort d’un acteur du cinéma, fut-il originaire de la ville. A Figeac, il y avait longtemps qu’on avait oublié qu’un Enfant du Pays était parti, un jour de 1917, à la conquête de Paris et d’Hollywood, du thé­âtre et du cinéma, de la gloire et de la for­tune… 

Guy Chassagnard

Aurore



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